Journal d’expédition du 17 au 21 décembre

La seconde partie du mois de décembre a été riche de belles navigations solaires pour Alain Blanc, qui a pu tester le kayak solaire expérimental parmi les icebergs de l’Antarctique. Voici la suite de ses récits…

Mardi 17 décembre 

Nous avons navigué toute la nuit. J’ai pris le quart de 1h00 à 3h30. Le soleil s’est couché vers 23h30, il s’est levé vers 2h00 du matin, ne laissant jamais véritablement la place à la nuit. Comme nous sommes bordés de montagnes, il est difficile de voir le soleil dès son apparition. Ce sont les nuages violets du crépuscule et ceux rouges de l’aube qui trahissent ces changements de journée. Nous avons aperçu des groupes de baleines durant tout le quart. Il y en a même une qui a émergé juste devant la proue mettant en émoi toute la passerelle!

Je me réveille à 9h00 au milieu du détroit de Gerlache. Il fait encore beau et le décor montagneux est somptueux. Au moment de tourner vers le détroit de Schollaert nous devons passer une mer de glace. Tantôt à la gaffe, tantôt à l’aide du dinghy, nous déplaçons les glaces pour frayer un passage à notre NDS Evolution.  Tirés d’affaire avant de remonter le détroit amenant à notre destination, nous visitons un bateau argentin. Eugenio, notre amiral, connaît le capitaine et celui-ci reçoit notre petite délégation à bord. Il véhicule 80 touristes internationaux dans ce haut-lieu de l’Antarctique.

Ensuite, ce sont les baleines qui nous font leur récital. Il y en a de partout, c’est extraordinaire! J’avais imaginé l’Antarctique avec une baleine sur fond d’iceberg tabulaire. Je suis servi! Pour le coup, j’immortalise deux queues devant un gigantesque iceberg. Puis, l’une d’elle émerge sur son flanc sur le côté du bateau. Nous avons eu le temps de la voir venir, car son apparition a été précédée par un cortège de bulles. Soudain, son évent expulse l’air dans un souffle magistral et c’est toute la masse qui émerge, à moins d’un mètre de notre bord bâbord. C’est extraordinaire. Les photos montrent bien les deux bras de la baleine à bosse. Elle est remontée de côté pour mieux nous voir. J’aurai aimé voir son œil mais c’est la taille de sa gueule remplie d’eau qui m’a impressionné. Sur le pont, tout le monde saute de joie. Dans l’excitation, je perds une chaussure, elle passe à l’eau. Je cours à l’arrière du bateau et la récupère… Je n’avais pas envie de laisser une trace de plastique dans ces eaux pures et la mer me la rendue calmement. Le bal des baleines continue, sous nos yeux fascinés.

© Alain Blanc

 

Nous arrivons ensuite dans une série de baies délimitées par un chapelet d’îles hautes d’une centaine de mètres. Au ras de l’eau, on peut apercevoir des rochers gris surmontés soit par d’énormes séracs, soit par des pentes neigeuses qui laissent deviner la présence de glaciers au-dessous. L’eau est noire, le ciel est bleu, parcouru par quelques nuages gris ou blanc. A peine avons-nous remarqué la présence de l’« Austral », bateau de la compagnie du Ponant, qu’un canot pneumatique vient à notre rencontre. C’est le capitaine de l’Austral qui est venu nous saluer. Il connaît Laurence. Nous passerons une heure en sa compagnie à bord de ce luxueux bateau de croisière. Quel contraste! Nous ne sommes de loin pas dans l’inconfort, mais arriver d’abord dans le grand salon du paquebot est des plus dépaysant! La simplicité et la gentillesse du commandant nous ramène sur terre. Nous échangeons sur l’avenir du tourisme antarctique. Pourvu que la sagesse et le désir de préserver cet environnement extraordinaire continue d’animer les tours operators…

De retour au bateau, je mets le kayak solaire à l’eau et pars à la découverte des lieux. Bertrand, Eric, Laurence et Hélène me suivent en zodiac. Nous avons bien pris soin de nous munir de radio pour faire des images. Je suis dans un décor de rêve, dans un engin totalement expérimental. J’évolue au pied des glaciers, sous d’énormes colonnes de neige dure, des séracs gigantesques. Pourvu qu’ils tiennent le temps de mon passage sans quoi je serai englouti à jamais. Je contourne des icebergs sculptés par la mer et les vents, dans une eau plus turquoise à mesure que je me rapproche de leur base. Je passe devant des manchots. Dans le ciel, des goélands et des cormorans crient à ma présence insolite. Le soleil n’en finit pas de tomber. Je suis là au milieu, en train de vivre quelque chose de magique. Après cette journée, je suis lessivé de bonheur et m’endors pour des rêves qui risquent de ne pas être à la hauteur de la réalité.

Alain

 

© Eric Loizeau

 

Mercredi 18 décembre

Au moment de me coucher hier soir, Duarte et André sont inhabituellement agités. Un iceberg, plus gros que le bateau se dirige droit sur nous. Il est un peu plus de minuit, il faut modifier la trajectoire de l’obstacle pour pouvoir dormir tranquille. Ils prennent le dinghy et pendant 30 minutes environ ils tenteront, avec succès, de repousser le colosse pour qu’il ne nous gêne plus. Je les vois s’évertuer à pousser encore cette masse glacée, même s’il a dépassé notre proue.

Ce matin tout le monde se lève gentiment. Nous sommes dans une baie magnifique. Eugenio nous raconte l’histoire du phare de l’Ile du 1er mai. Ce phare n’est plus en service, pourtant c’est le premier phare installé dans toute l’Antarctique. L’Argentine hésite encore à en faire le « phare argentin de l’année » pour le représenter aux « oscars » des phares les plus importants du monde. L’autre phare en compétition est le phare du bout du monde que l’on visitera prochainement.

De mon côté, je m’en vais en kayak solaire du côté du phare d’abord et dans toute la baie ensuite. Je l’ai bien en main et il fonctionne parfaitement. Naviguer dans un lieu aussi extraordinaire est une chance! Le moteur électrique ne fait presque aucun bruit et je peux écouter la mer, les oiseaux, les manchots faisant subitement surface, la glace qui vêle, le ressac.  Je passe sous d’énormes séracs, contourne un îlot rocheux, traverse la baie en direction de la base désaffectée de Melchior et reviens finalement au bateau pour le repas. En tout, j’ai dû faire une dizaine de miles et consommé à peine 40% de batterie. Sauf devant un obstacle, je navigue toujours à pleine puissance, c’est-à-dire à 5 nœuds. Chaque fois que je reviens au bateau, je prends le soin de démonter les panneaux photovoltaïques et le moteur afin de ne pas endommager soit le catamaran, soit le kayak.

A bord, il y a des discussions par rapport à l’itinéraire. Les glaces bouchent le passage plus au sud. Elles sont bien présentes au nord aussi. Finalement, nous partons cap au nord et revenons un peu sur nos pas. Tant mieux, nous retraverserons la zone des baleines. Il fait toujours frais, le soleil est radieux. Pas trop de baleines finalement, mais au loin j’ai clairement distingué le saut puissant d’une baleine à bosse se propulsant hors de l’eau. Plus loin, nous croisons un champ de glace. Il faut ressortir le dinghy pour pousser ces gros glaçons. A la proue du bateau, armés d’une longue gaffe en carbone, je tente avec Laurence sur bâbord et moi sur tribord d’éloigner les glaces qui s’approchent trop de la coque. Il est minuit, nous sommes dans des eaux presque libres et nous naviguons encore.

Alain

© Bertrand Delapierre

 

Jeudi 19 décembre

Encore un réveil avec un beau soleil. Nous sommes dans une baie entourée de collines enneigées. Bertrand et Eric sont partis en paddle voir l’épave de baleinier qui est échoué au bout de la baie. Hélène et Laurence prennent le relai du paddle. Hélène est à la recherche d’algues. Elle remonte une Ulva Instestinalis, celle pour laquelle elle se passionne !

Après le repas de midi, nous repartons pour une navigation. Je crois bien que c’est la première qui n’est pas dans une direction pour nous avancer, mais uniquement pour découvrir les lieux! Magnifique passage du canal Del Plata qui débouche dans la Bahia Guillermina. Des glaciers, des sommets… on se croirait dans les Alpes. Il y a le Grand Combin, les Aiguilles de Chamonix, les Drus… tous les sommets sont devant nous, mais avec encore plus de glace!

Ce soir, il est très difficile de se connecter et cela nous rappelle combien nous sommes loin de tout.

Alain

 

Vendredi 20 décembre

Nous naviguons toute la journée, entre Puerto Sven Fojn et la base chilienne O’Higgins. J’effectue le quart de nuit, de 3h-6h en compagnie de Bertrand et André. Le lever de soleil est absolument superbe, se dessinant lentement sur  l’Ile Astrolabe que nous laissons sur bâbord. Nous passons un extraordinaire champ d’icebergs, dont trois énormes colonnes.

Alain

 

Samedi 21 décembre

Le mauvais temps arrive avec un vent qui souffle à 30 nœuds. Nous mettons un peu de temps à trouver un bon ancrage dans la baie, à côté de la base chilienne de O’Higgins. Nous partons visiter la base chilienne et recevons un accueil chaleureux des militaires qui sont arrivés ici il y a un mois pour une année de travail. Aux abords de la base, une colonie de manchots donne naissance à leurs petits.

De retour au bateau nous devons une fois de plus changer de mouillage. Le vent augmente encore, jusqu’à 50 nœuds en fin de soirée. Vers 2h00 du matin, nous devons lever l’ancre, car le mouillage n’est plus sûr…

Alain